Markind 55 Cancri : Vaisseau mère – Chapitre 1 – L’aboutissement

Markind chapitre 1

Bienvenue à vous, ci-dessous, le texte complet du premier chapitre du roman de science-fiction Markind 55 Cancri : Vaisseau mère. 

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Bonne lecture.

L’auteur, Philippe Ruaudel

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Chapitre 1 - L'aboutissement

Une lumière teintée de rouge bordait une partie du hublot et du siège. Elle le tirait lentement du sommeil. Cela faisait près de deux années standards que le vaisseau mère préparait son arrivée en orbite de Parelas-d, troisième planète de type tellurique du système Parelas. Depuis sa découverte, plusieurs années auparavant, elle avait attisé les passions de toutes parts. Bien qu’elle ne fut pas la première planète découverte par l’humanité, elle intriguait au plus haut point. À bord, on la surnommait Rød. Phel observait du coin de l’œil cette boule noire et rouge semblant flotter dans l’immensité du vide. Bientôt, les préparatifs de l’arrivée allaient agiter l’ensemble des membres d’équipage et de leurs précieux passagers, les colons. Ces derniers seraient la première vague d’humains dont les pas marqueraient Parelas-d. L’humanité s’étendait désormais dans l’univers. De nombreuses planètes devenaient de nouveaux berceaux. Plusieurs lignées, comme on les nommait, parcouraient des distances incroyables pour les ensemencer, y évoluer et les faire perdurer. 

Pour les colons, dont Phel faisait partie, et les membres d’équipage, ce voyage n’avait pas été de tout repos. Bien que la majeure partie du temps fut consacrée aux loisirs et aux soins, l’humaniformation avait transformé les corps. Elle les avait préparés à la vie sur Parelas-d. Sa gravité était plus importante que les autres planètes standards où l’humain avait posé les pieds. De plus, la composition de son atmosphère n’était pas propice à la vie humaine. La terraformation avait été abandonnée depuis bien longtemps et se présentait comme une technique coûteuse, violente et dépassée. Elle avait été le théâtre de pertes inestimables pour l’univers. L’humanité lui avait préféré l’humaniformation, cette méthode plus rapide et adaptée. Les progrès et découvertes en biotechnologie offraient désormais de nombreuses possibilités. La nature, impérieuse, plaçait encore çà et là des limites inattendues. Mais la soif de savoir humain les repoussait toujours plus loin. Cette technique avait permis aux humains de s’installer durablement en dehors de son berceau originel la Terre. Elle avait, en outre, l’intérêt de laisser, en dehors des activités directement humaines, la planète globalement intacte. 

« Je ne la voyais pas si rouge. » Phel tourna la tête, pour faire face à celui qui venait de prononcer ces mots. Il s’agissait d’un membre d’équipage qui s’assurait du confort des colons.  

—  Effectivement, la teinte réelle est quelque peu différente des simulations et des images issues des systèmes de visions à longue portée, lui répondit Phel.  

— Nous allons devoir nous y habituer, c’est un aller sans retour, poursuivit son interlocuteur. 

— De toute façon nous ne pourrions plus vivre sur notre planète d’origine, enchaîna Phel. 

Une certaine nostalgie l’emplit durant un instant fugace. Les colons provenaient du monde de Baure. La forte gravité de cette planète avait déjà modelé les corps. Ceux-ci étaient peu gracieux, petits et robustes. Phel avait passé toutes les étapes de la sévère sélection. Formé en géologie dans les mines de Sikrat, il y avait passé plusieurs années standards pour y être préparé comme colon, dévolu aux futures installations au sol de Parelas-d. 

Le membre d’équipage continua à passer en revue les sièges des passagers. Phel se détendit les membres. Puis, il parcourut les dernières informations remontées sur son pupitre d’information mobile, appelé communément PIM. Ce bijou technologique, léger comme une plume, ouvrait pourtant à une montagne d’informations diverses et variées. Il fit un tour rapide des dernières entrées et eut la confirmation que cette journée allait être intense. Plusieurs rendez-vous la ponctueraient. Il ne restait que quelques heures avant le débarquement. Chaque colonisation de planète avait son lot d’aventures heureuses et malheureuses. Et celle-ci n’y dérogerait pas. 

Le groupe d’une centaine de colons était rassemblé pour échanger sur les préparatifs de leur débarquement. Phel se fraya un chemin parmi la foule pour rejoindre ses équipiers. 

Trabo fut le premier à le remarquer et l’accueillit chaleureusement. 

 « Ah ! Voilà notre force de la nature. Comment te sens-tu ?  

Le physique de Phel dénotait avec sa personnalité introvertie. Il était large d’épaules, son corps musculeux était porté par de solides jambes. 

—  Plutôt bien, répondit Phel qui regarda rapidement autour de lui.  Lekia n’est pas encore arrivée ?  

— Aux dernières nouvelles, elle discutait des préparatifs avec l’équipe chargée de nous déposer sur Rød et Meltia », lui répondit Trabo.

Le brouhaha régnait, comme à chaque fois, lors d’un regroupement de colons. L’excitation était palpable et chaque équipe discutait, riait ou s’invectivait. Phel aperçut Lekia qui faisait son entrée en même temps que l’équipe de débarquement. Elle les rejoignit rapidement en se faufilant. 

« Le débarquement se déroulera comme prévu, tous les paramètres sont au vert », indiqua Lekia, après un rapide salut aux membres de son équipe dont Phel et Trabo faisaient partie. 

Le silence prit place peu à peu. Les colons se tournèrent dans la même direction. Un homme de stature moyenne, aux cheveux noirs et au regard acéré parcourait la foule du haut d’une estrade. Il prit la parole d’une voix claire. 

« Chers colons, demain sera un jour qui restera gravé dans nos mémoires. Il ouvrira un nouveau chapitre de l’Humania 55 Cancri. Tant d’attente après ces deux années passées à bord. Une graine d’humanité va enfin éclore sur Parelas-d. Chacun de vous sera pionnier dans son domaine. Vos corps ont été forgés, durant ce périple, pour endurer les conditions de vie difficiles sur cette planète. Nous comptons sur vous pour vous adapter et permettre à l’humanité d’acquérir de nouveaux talents. » L’homme marqua une pause. Il balaya du regard l’ensemble des colons qui se tenaient devant lui. Aucun bruit ne rompit le silence. L’atmosphère était chargée, à la fois, d’émotion et d’une certaine tension.  

« Libre à vous désormais d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité. Vos descendants partiront un jour de Parelas-d, forts de vos exploits et de vos réussites. Ils deviendront, comme vous, une nouvelle graine pour ensemencer un monde aujourd’hui inaccessible. »  

Ces derniers mots du responsable de l’ensemencement, Milo Vard, déclencha un tonnerre d’applaudissements. Phel, Trabo, Lekia et le reste de leur équipe se regardaient mutuellement le sourire aux lèvres. 

Milo Vard céda sa place à une femme de petite stature. Sa carrure trapue et musculeuse ne laissait pas de doute sur son appartenance aux colons. 

« Salutations à vous. Comme prévu au planning, notre graine quittera le vaisseau mère à sept heures, heure universelle. D’ici là, les différentes décuries devront rester ensemble et suivre les instructions sur leur pupitre d’information mobile. Je me suis entretenue personnellement avec chacun de vos décurions. Ils vous livreront les détails de notre entretien. Je voudrais avant tout saluer le sérieux de chacun dans la préparation de cette étape cruciale de notre périple vers notre nouveau monde, Parelas-d. Vous pouvez regagner vos quartiers. » Ainsi Meltia, leur centurion, conclut ce dernier échange collégial. Une nouvelle salve d’applaudissements retentit dans la salle.  

Trabo fut le premier à prendre la parole alors que chaque équipe rejoignait ses quartiers.  

« Bref, mais intense !  

— L’essentiel a été dit, enchaîna Lekia. Il est toujours bon de s’assurer de la cohésion des équipes avant chaque étape critique.  

— Meltia semblait à l’aise et confiante », indiqua Phel.  

L’équipe de Lekia, composée de neuf autres colons, dont Phel et Trabo, arrivèrent dans un espace rempli de matériel. Vivres, éléments nécessaires à l’installation des habitats primaires, vêtements et combinaisons, ustensiles pour les différentes recherches sur place et bon nombre d’autres outils étaient chargés dans des cubes de trois mètres sur trois. Ils seraient déchargés de la graine au fur et à mesure de leur installation sur Parelas-d. Finalement, ils contenaient toutes sortes d’éléments nécessaires à la survie de la centaine de colons pour les premiers mois, la production sur site relayant peu à peu les besoins qu’ils fourniraient. 

Lekia menait son équipe à travers les salles de chargement. Elle était leur décurion. La division en centuries et en décuries était utilisée sur le Markind et sur les différentes planètes qui avaient été colonisées par les humains. Elle faisait référence au découpage militaire de la période antique romaine en Europe. Mais il n’était pas là question de martialité. Chaque décurie permettait d’obtenir un groupe homogène en compétences et limitait les problèmes décisionnels. 

Elle s’arrêta et leur fit face. 

« Prenez connaissance des dernières instructions sur vos PIMs. En cas de doute, je compte sur votre entraide. Ces derniers cubes doivent être chargés et arrimés à la graine. Au travail. » 

Chacun prit sa place dans le ballet du chargement de la graine. Bientôt, celle-ci, comme tant d’autres, toucherait le sol d’un nouvel astre. Monde à venir d’une humanité en devenir. 

Sur la surface parélienne, vue du ciel, on aurait pu penser à un tsunami noir dont le film aurait été joué à rebours. La masse sombre refluait découvrant une vaste zone d’un rouge vif. Le phénomène fut suivi scrupuleusement par les équipes en charge de l’observation du site d’ensemencement. Le repli de la végétation parélienne surprit les observateurs sur deux points : sa soudaineté et sa vitesse. Les questions fusaient dans leurs esprits. Mais la plus prégnante était de savoir quel stimulus avait déclenché une telle réaction.

Le chemin qui menait au centre décisionnel de l’ensemencement passait par une longue coursive mêlant reflets métalliques et parois blanches. Les parois opaques devenaient transparentes lorsque l’on arrivait à leur niveau, permettant d’observer l’intérieur d’une salle, d’un atelier ou encore du vide spatial. Elle facilitait aussi la vie des techniciens et mécaniciens du Markind. Ils pouvaient vérifier l’état du matériel sans avoir à enlever ces plaques. Au passage, cela permettait de maintenir l’étanchéité et l’intégrité de ces espaces souvent critiques. Leur activation prenait en compte les autorisations du colon ou du membre d’équipage. Seuls quelquesuns, liés à la sécurité, avaient la possibilité d’observer par n’importe quelle paroi.     

Au travers d’une d’entre elles, à sa droite, Meltia pouvait observer Parelas-d. Elle présentait une face plus sombre que dans la matinée, ce qui rendait son observatrice songeuse. Est-ce là un mauvais présage ? Son éducation balaya tout de suite cette pensée négative. Elle avait passé plusieurs années à se préparer à commander, à jouer et composer son rôle de centurion, et, comme les autres colons, à agir dans l’intérêt de tous. L’esprit humain est toujours aussi prompt à voir des signes dans des détails banals, se dit intérieurement Meltia. 

Elle croisa plusieurs colons et décurions qu’elle salua d’un rapide mouvement de la tête. Plusieurs membres d’équipage vaquaient à leurs différentes tâches tandis que d’autres observaient l’immense sphère immobile devant eux. Le vaisseau mère s’était placé en orbite stationnaire au-dessus d’une zone rougeâtre bordée de larges taches sombres. La manœuvre avait été assez rapide malgré la taille imposante du vaisseau mère. Cette formidable réalisation humaine présentait son flanc abritant la graine. Cette longue et large plaine serait le premier endroit qui recevrait les colons. Elle était au centre de toutes les conversations. Mais son choix fut soumis au consentement de chaque colon. Le lieu, peu accidenté, permettait un déchargement et une installation aisée. Sa situation sur une latitude assez élevée permettait un accès facilité aux sources d’eau bordant la calotte glaciaire qui seraient exploitées dans un second temps. Les températures étaient plutôt fraîches mais supportables avec un équipement assez léger.  

 

Les larges portes du centre de contrôle de l’ensemencement étaient grandes ouvertes. Meltia pouvait voir Milo Vard qui se tenait auprès des grands écrans représentant la surface de la planète. Il se trouvait au milieu d’une nuée de subordonnés qui se relayaient pour lui faire part de nouveaux éléments non encore disponibles sur le réseau. Se frayant un chemin, elle arriva à son niveau.  

D’un geste de la main, le responsable de l’ensemencement fit comprendre qu’il ne fallait plus l’importuner. La nuée se dispersa aussitôt. Meltia lui fit un large sourire. 

« Il n’est parfois pas nécessaire de parler pour se faire obéir, engagea-t-elle sur un ton léger. 

 Vous avez raison, nous avons passé tellement de temps ensemble qu’ils connaissent mes pensées. Même ce geste était superflu, sourit-il en retour. Comment les futurs Paréliens se sentent à quelques heures de l’ensemencement ?, demanda Milo Vard. 

 Impatience, nervosité et entraide dominent., répondit Meltia.  

 Avec une pointe de nostalgie, j’imagine, enchaîna Milo Vard. 

 Oui, le rythme de vie du vaisseau mère va nous manquer. Même si vous nous observerez de haut », dit Meltia. 

 

Depuis le début du voyage, membres d’équipages et colons avaient vécu l’humaniformation. Même si leur mission première était différente, ils étaient liés par un destin commun. Les ensemencements se déroulaient généralement en trois actes. Une première centurie établissait un camp de base dit embryonnaire. Elle serait la future tête de pont pour l’arrivée de la deuxième centurie. Une fois une colonie solide établie, le transport de la dernière centurie s’établissait via des navettes entre le Markind et les installations au sol, sans le recours de la deuxième ou troisième graineEnfin, les décuries se relayaient, alternant présence sur le Markind et la projection sur des sites de la planète colonisée. 

Au départ, chaque ensemencement était à sens unique. Une fois la graine lâchée, seules les communications techniques, visuelles et audios s’établieraient avec le vaisseau mère. La forte gravité de Parelas-d ne permettrait pas, en effet, pendant les premières années, de retourner à son bord. 

 

« Votre zone d’implantation est toujours aussi propice. Les drones d’exploration nous remontent des données en continu. Rød est étonnante, cette végétation noire semble se retirer de votre future zone d’impact. Nous avons hâte d’avoir plus d’éléments la concernant pour faire travailler les archivistes », dit Milo Vard.  

Durant un instant, le responsable de l’ensemencement se remémora l’enthousiasme qui régnait lors des premiers relevés concernant Parelas-d. Il fallait parfois plusieurs générations de colons pour découvrir un astre présentant les critères minimaux à l’installation humaine. Mais les données ne mentaient pas. De l’eau en abondance, une atmosphère respirable mais qui demandait une phase d’adaptation. Il en allait de même pour sa gravité légèrement plus élevée que celle de Baure. Des traces de composés organiques avaient achevé d’attiser les désirs les plus fous. Les artistes finirent d’établir autour d’elle un imaginaire si réel par leurs œuvres. Aux yeux de Milo, désormais, force était de constater qu’elle était pourtant si loin de sa réalité rêvée. 

« Nous allons bientôt pouvoir l’admirer de près. Nul doute que de nombreuses surprises nous attendent », conclut-il, souriant à la décurion. 

Meltia connaissait chaque compétence des colons. Une multitude de spécialistes allaient scruter, creuser, étudier, cultiver Parelas-d. Elle avait passé deux années à échanger avec chacun d’entre eux. Entre les colons, des liens plus ou moins étroits s’étaient liés. Cependant, les romances naissantes étaient stériles. Les colons eux avaient vu leur libido totalement supprimée par des traitements divers et variés. Aucun enfant ne devait naître avant l’établissement d’une colonie solide.  

« Meltia, je ne doute pas des capacités de vos équipes. J’espère sincèrement que cette planète ne provoquera pas trop de souffrances, dit Milo Vard. 

 Nous serons fixés dans quelques heures », lui répondit Meltia. 

Sur ces mots, Meltia prit congé et se dirigea vers la coursive pour rejoindre ses quartiers. La nuée se reforma autour de Milo Vard qui leva les yeux une dernière fois vers Meltia. Cette graine présente le meilleur de l’humanité… en espérant que Rød acceptera cette offrande, pensa Milo Vard. 

 

Ces dernières heures avaient exténué la centurion. Prendre un peu de repos n’était plus une option. Dans quelques heures, elle devrait être en pleine possession de ses moyens pour assurer la réussite de cette première phase de l’ensemencement. Elle traversait les coursives. La phase critique approchant, elle sentait, autour d’elle, une émulation de plus en plus importante entre les colons et les membres d’équipage, certains profitant des derniers instants avant d’être séparés pour une période minimale de quelques mois.  

Les espaces communs étaient disséminés un peu partout sur le Markind. Mais certains étaient devenus plus courus que d’autres sans réelle explication tangible. Peut-être une implantation à la croisée de chemins. Ou encore la présence de quelques hommes ou femmes dont l’influence amenaient à ces cas de figure.  

Meltia affectionnait particulièrement une salle  l’on pouvait s’installer et se relaxer au rythme de musiques typiques et enivrantes de Marnis, la capitale baurienne. Les parois rejouaient les plus célèbres lieux culturels de Baure. Elle s’y dirigea. Une fois installée dans un siège qui s’adaptait pour assurer un maintien optimal, un membre d’équipage vint lui apporter une de ses boissons et plats favoris. Un mélange qui s’inspirait de plats colorés de la période pré-extra-expansionniste humaine. Mais qui n’avait plus les mêmes compositions que les originaux. Les produits frais issus de la faune ou de la flore avaient disparu de la plupart des régimes alimentaires courants. L’évolution des techniques alimentaires, les contraintes des voyages spatiaux, de la colonisation et en partie l’humaniformation en avait accéléré la disparition. La production alimentaire était synthétique. L’aspect et le goût n’avaient rien à envier aux plats les plus fins des anciens Terriens. Elle permettait une adaptation efficace et une liberté totale dans la création. Pourtant, ici ou là, pouvaient résider quelques amateurs de techniques anciennes. Elle trempa ses lèvres dans le nectar où apparaissait une pointe d’amertume qui la faisait toujours un peu grimacer. Elle en profita jusqu’à la dernière goutte en dégustant son plat. Elle se perdit quelques instants dans les projections qui habillaient les parois de la salle. Devant elle, se développait Marnis, la capitale, dont elle connaissait une grande partie, baignée d’une douce lumière. Elle reconnaissait au loin l’immeuble et le quartier où elle avait grandi. Plus à droite, l’institut de l’ensemencement où elle avait postulé. Sa famille l’avait toujours soutenue dans son choix. Devenir colon assurait de laisser une marque forte dans l’Humania 55 Cancri, l’encyclopédie qui relatait un nombre incalculable d’entrées sur l’histoire de la lignée du Markind 55 Cancri. Les archivistes bauriens courtiseraient sûrement la famille de chaque colon et leur offriraient une renommée presque éternelle. Cette dernière vision la ramena au présent. Elle ressentit de nouveau la fatigue et, jetant un dernier regard autour d’elle, elle salua chaleureusement le membre d’équipage en charge de la salle. Enfin, elle quitta cet endroit. 

  

La cabine de Meltia ne correspondait pas à l’image que l’on pouvait se faire d’une centurion : froid et rempli de pupitres divers et variés affichant les paramètres de l’ensemencement. Non, ici, les murs luisaient de couleurs vives, adoucies par de larges portions claires ou sombres. Leur mouvement se calait sur de douces musiques qui remplissaient le fond sonore. Elle était l’œuvre d’un artiste d’Harriot-a, un des satellites naturels orbitant autour de la géante gazeuse 55-Cancri-f, la première planète colonisée par cette lignée. L’artiste se serait inspiré, selon les archivistes, des images mentales que lui provoquaient les effets de marées entre les deux astres durant sa phase d’endormissement. Meltia se sentait ressourcée dès qu’elle y pénétrait. Lovée dans son siège, elle fermait les yeux, profitant de ces derniers instants au creux de son cocon. Ce sera l’une des premières choses que je répliquerai sur Parelas-d. L’ensemble de ses effets personnels était déjà dans un des cubes chargés dans la graine. Il ne restait plus que son PIM posé sur une tablette à proximité d’elle. Beaucoup d’événements allaient se dérouler avant de pouvoir réaliser son vœu. Le premier d’entre eux allait se produire dans quelques heures. La musique et l’ambiance lumineuse commençaient à faire leur œuvre. Elle ferma les yeux, sentant le sommeil l’envahir peu à peu.

Les colons s’installaient de façon ordonnée, dans le calme. Phel regarda du coin de l’œil Lekia. Elle entrait dans son siège avec souplesse malgré le port de sa combinaison. En tant que décurion, elle s’était assurée que son équipe soit installée correctement. La centaine de sièges s’alignaient sur une longueur d’une cinquantaine de mètres. Ils étaient mobiles et allaient s’adapter aux différentes phases de l’approche et de l’arrivée sur Parelas-d. Les décurions étaient placés alternativement à droite et à gauche de chaque rangée. Une place au centre restait vide.  

De son siège, Phel aperçut Meltia entrant dans la salle d’embarquement. Elle marchait d’un pas calme et assuré. Elle passait en revue chaque décurion, finissant chaque inspection par une petite tape amicale sur le casque. Elle fit de même pour sa décurion, Lekia. Ces petits rituels étaient-ils les mêmes pour chaque colonisation ?, se demanda intérieurement Phel. 

Cette question pourrait aisément trouver une réponse auprès de l’Humania 55 Cancri et des archivistes du vaisseau mère. Mais elle ne pourrait couvrir que cette lignée de colonisation humaine. Il pourrait y apprendre que la colonisation de Baure, sa planète d’origine, s’était déroulée presque sans encombre. La forte gravité avait seulement endommagé du matériel mal calibré. En conséquence, une partie des installations du camp embryonnaire était inaccessible pendant les deux premiers mois. Tandis que celle qui la précédait avait provoqué la mort de nombreux colons.  

 

Certains avaient étudié en détail chaque entrée de l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri, que chacun appelait Humania. Elle agissait comme une mémoire ouverte et partagée, préparant les colons aux difficultés qu’ils pourraient rencontrer. Certains, comme Phel, étaient moins consciencieux dans leur étude. Ils comptaient davantage sur leur instinct, ne souhaitant pas alourdir leurs esprits avec les passages les plus noirs des colonisations passées. Des versions personnalisées et très allégées de l’Humania étaient chargées sur leur PIM. Celui de Phel contenait, en détail, tous les éléments récoltés sur la géologie complexe de Parelas-d, l’ensemble des entrées concernant ses spécialités et d’autres sources qu’il avait jugées intéressantes. Des entrées plus légères étaient couramment utilisées par les colons comme des réplications issues de planètes colonisées ou provenant de leur passé commun, la Terre et Mars. 

En particulier, Phel était un fervent observateur du spectacle saisissant des aurores boréales et australes qui emplissaient les latitudes les plus hautes des hémisphères terriens. Phel avait fait le voyage au nord de Baure, mais les différences de composition de ces deux planètes ne pouvaient s’égaler. Les Terriennes restaient parmi les plus belles. 

 

Une fois installée, Meltia fit signe à deux membres d’équipage pour vérifier à son tour son siège. Leur inspection se termina par un rapide hochement de tête. Ils repartirent de la zone sans se retourner vers les colons. 

 

De ses pupitres de contrôle, Milo Vard et la nuée de ses subordonnés scrutaient l’ensemble des paramètres. Ils emplissaient la majeure partie des écrans. Une reproduction de la graine se tenait au centre de la salle de contrôle. En temps réel, les techniciens et ingénieurs pouvaient visualiser chaque détail, jusqu’au moindre élément. La tension était palpable. Les visages restaient concentrés et fermés. Les minutes menant à la séparation de la graine du vaisseau mère se réduisaient lentement. Le temps semble s’allonger comme souvent dans ces moments cruciaux, se dit intérieurement Milo Vard. 

Activant la communication audio avec la graine, la voix du responsable de l’ensemencement retentit dans chaque casque de colon. 

« Nous voici arrivés à ce moment déchirant et exaltant où le connu sera remplacé par l’inconnu, où chaque instant testera vos capacités. L’ensemble des membres d’équipage du Markind 55 Cancri se joignent à moi pour vous souhaiter une première phase de colonisation sans heurt ni malheur. Nous veillerons sur vous depuis les cieux. » Il coupa la communication tandis que raisonnaient autour de lui des applaudissements nourris. 

 

Le décompte touchait à sa fin sur chacun des casques des colons. Lorsque le zéro si redouté, ou souhaité ardemment par certains, fut atteint, Phel fut presque surpris par l’absence de phénomène. Pas de choc, de sensation d’accélération ou d’autres indices lui révélant que la graine avait quitté le ventre du vaisseau mère. Cependant, il remarqua un détail. Un fin ruban semblait flotter au-dessus de sa combinaison. Il regarda les paramètres affichés sur son casque et confirma son observation avec l’indication zéroG.  

La vie à bord du vaisseau mère s’effectuait avec la même gravité que connaîtraient les colons sur Parelas-d. L’expérience de l’apesanteur ne passait que par des sorties de maintenance, des exercices d’évacuation de zones dépressurisées ou d’une panne du système gravitationnel heureusement jamais endurée par un équipage. De rares parties du Markind 55 Cancri permettaient de connaître ces sensations de façon régulière. Elles étaient, cependant, réservées, en temps normal, aux membres d’équipage. Parfois les colons participaient à des exercices. Phel sen remémora un rapidement, en compagnie de l’ensemble de son équipe menée par Lekia. Durant cette sortie, il suivait de près ses coéquipiers, Trabo le précédait. Ce dernier semblait apprécier l’escapade qui les menait d’un pont du Markind à un autre. Le spectacle du vide sidéral autour d’eux était saisissant. Pourtant, ils étaient habitués à l’observer de longues minutes durant, à travers les parois transparentes du vaisseau mère. Mais s’y trouver, à quelques mètres près, prenait une tout autre dimension. Une sensation de vulnérabilité mêlée à un sentiment d’émerveillement. A contrario de Trabo, Phel et sa coéquipière, avaient hâte de ressentir, de nouveau, la gravité rassurante du vaisseau.  

Un rapide signal sonore et un indicateur dans son casque le tira de son souvenir. Lekia allait intervenir dans les secondes suivant ce signal. « Comme vous pouvez le constater les paramètres sont corrects, la graine va entamer la descente dans l’atmosphère de Rød. Tout va se dérouler très vite. Une fois posés, nous attendrons notre tour pour débarquer notre matériel. » 

Depuis plus d’une minute, le fin ruban restait collé à la combinaison de Phel. Il luttait pour l’observer sans relever la tête. Les systèmes de la graine compensaient au mieux les changements de gravité, mais ils avaient des limites. Puis, peu à peu, il sentit le poids sur son corps se réduire. De nouveau, un signal sonore retentit et un indicateur sur son casque apparut. La voix de Meltia indiqua : « La graine est posée. Nous allons enfin pouvoir fouler le sol de notre nouveau monde. Les archivistes seront heureux d’enregistrer notre arrivée sans encombre sur Rød. » 

Meltia sentait la jubilation monter en elle. Elle avait beau tenter de la réfréner, l’enchaînement des différentes phases de leur arrivée sur Parelas-d s’était déroulé dans les meilleures conditions. Relevant légèrement son bras, elle activa certains paramètres sur son PIM. Puis, elle se leva de son siège. Tout en effectuant les différentes tâches nécessaires, elle établit une liaison audio avec Milo Vard.  

« Je débute la séquence de débarquement. Rien à signaler de notre côté », indiqua-t-elle. 

 Heureux de l’entendre, Meltia. Tout semble parfait de notre côté aussi. Les drones s’affairent à déblayer votre zone de débarquement », répondit Milo Vard. 

 

Meltia se dirigea vers chaque décurion et vérifia si tout était en ordre. Deux colons s’étaient évanouis pendant la phase la plus ardue de la descente. Leurs paramètres vitaux étaient stables. Les intenses émotions plus que les conditions de vol avaient eu raison d’eux. Une fois son inspection terminée, chaque combinaison changea de couleur. Des bandes indiquaient la spécialité de chacun et la couleur générale l’appartenance à leur décurie. Phel observa ses manches bleuirent et une bande de couleur marron les parcourir. Il remarqua sur celle de Lekia apparaître le rond jaune synonyme de décurion. Les combinaisons des deux colons évanouis présentaient des triangles verts clignotants, indiquant qu’ils retrouvaient peu à peu leurs esprits. 

Dans sa combinaison blanche auréolée d’un triangle jaune Meltia se dirigea vers l’écoutille principale. Elle fut suivie par la première équipe dont l’un des membres avait totalement repris ses esprits. Elle entra les commandes sur son PIM puis les confirma sur le panneau de l’écoutille. Un léger bruit métallique retentit tandis que celle-ci glissa doucement, laissant apparaître une lueur rougeâtre qui se reflétait sur sa combinaison immaculée.

Il avait beau retourner tous les paramètres sur les différents pupitres, Milo Vard ne comprenait pas. Le black-out avec la graine durait depuis plus de trois heures. Les sondes et drones sur place ne répondaient plus. Seules les images envoyées par les satellites et sondes volantes montraient le campement embryonnaire désert. Les habitats temporaires étaient tous présents. Les véhicules aussi. Tout semblait comme figé, inerte.  

La nuée tournait autour de Milo Vard. Tous les éléments qu’ils remontaient menaient toujours au même constat. Où se trouvaient les colons ?  

Le responsable de l’ensemencement appela le chef d’équipe des drones. Vidar approcha, l’air contrarié. Il avait pour réputation de plus aimer ses machines que les hommes. Mais, il excellait dans son domaine. Milo Vard lui demanda : 

« Les drones au sol sont muets depuis l’incident. Avez-vous des pistes pour les remettre en service ?  

  J’étais sur le problème, Milo, m’interrompre régulièrement ne donnera pas plus de résultats. Au mieux cela les ralentit. 

  Je comprends votre agacement, Vidar. Mais j’avais dans l’idée d’envoyer du personnel sur Parelas-d.  

 J’opterais pour lancer deux drones de reconnaissance en amont, rétorqua Vidar. 

 Je crains qu’ils ne subissent le même sort que ceux en panne. Seuls les équipements aériens semblent ne pas souffrir du black-out, enchaîna Milo. 

 Il est vrai qu’un des drones volants ne répond plus depuis qu’il s’est posé sur l’aire de stockage du camp de base alpha. Mais nous hésitons toujours sur le fait qu’il était totalement à court d’énergie à son arrivée, concéda Vidar. 

 Je vais ordonner qu’un autre drone se pose avant que ses réserves ne soient dans un niveau critique, ajouta-t-il. 

 Cela ne nous laissera donc que deux drones en observation. Pour combien de temps ?, demanda Milo Vard. 

  Suivant les contraintes météorologiques et leurs missions d’observation, entre dix et douze heures, tout au plus, répondit Vidar. 

 Audelà de ce délai, notre vue sera beaucoup moins détaillée, mais globale, via notre satellite d’observation », songea à haute voix Milo Vard. 

Il savait qu’envoyer une équipe sur place prendrait un jour standard plein. Durant ce laps de temps, les colons ne pourraient pas être repérés efficacement. Cette équipe serait livrée à elle-même avec quelques légers moyens de communication dans un premier temps. Et dans une moindre mesure, cseraient, tout de même, des bras qui manqueraient à bord du vaisseau mère. 

« Je vais suivre votre conseil, Vidar. Préparez un drone de reconnaissance au sol , ordonna le responsable de l’ensemencement, sortant de sa réflexion. 

«Entendu, Milo. Je vais augmenter son blindage électronique, renforcer son alimentation et ajouter deux ou trois choses de mon cru. Cela prendra six heures de plus. Son arrivée sur le camp Alpha devrait survenir une à deux heures après l’épuisement des drones en vol si les équipes de contrôle aérien ne cessent pas de modifier constamment leurs plans de vol.  

  Je vais donner l’ordre de les réduire au strict nécessaire, répondit Milo Vard. 

 À partir de cet instant, plus d’interruption, Milo, dit d’un ton ferme Vidar. 

  Nous comptons sur vous Vidar. J’y veillerai. » 

 

Vidar remonta les longues coursives menant à ses ateliers. Ses équipes étaient déjà à pied d’œuvre après qu’il eut donné ses premières consignes via son PIM en chemin. L’atelier respirait l’ordre et la propreté. Tout était ordonné, consigné et sans le moindre grain de poussière. Les éléments complexes des drones nécessitaient cet excès de zèle. Après le passage dans le sas de préparation, Vidar entra tout en observant ses équipiers faire des allers-retours entre le drone et les zones de stockage du matériel.  

Vidar s’approcha du drone en préparation dans une combinaison totalement étanche et blanche. Elle permettait tout type de mouvement et était considérée par les membres de son équipe comme une seconde peau. Il utilisa des pupitres pour concevoir les modifications qu’il avait en tête. Dans ces momentslà, son esprit était aiguisé et il prévisualisait, mentalement, chaque composant et rouage de ses machines.  

Il était déjà connu sur Baure pour ses qualités hors normes. Son choix de participer à cet ensemencement avait surpris. Vidar n’avait pas réellement d’attache. Pas de famille procheun cercle d’amis hypothétique. Finalement, sur Baure, personne n’avait vraiment réussi à lui soutirer le fond de sa décision. Les plus audacieux s’étaient ravisés à aborder ce genre de sujet après avoir subi son mauvais caractère. Pourtant, il était intarissable sur ce qui concernait la robotique et les automatismes, ce qui faisait l’admiration de ses apprentis et confrères. Son dossier, comme ceux de la plupart des postulants, avait été scruté scrupuleusement par les équipes de l’ensemencement. L’humain n’aimant pas le vide, des suppositions, hypothèses, naissaient çà et là. On le disait divorcé. D’autres imaginaient qu’il ait vécu des drames terribles.  

Pourtant, son entrée personnelle dans l’Humania 55 Cancri était ce qu’il y avait de plus banal. Issu d’une famille baurienne moyenne, d’un père commerçant dans les abords du port spatial de Marnis, d’une mère assurant des fonctions d’agent de liaison au sein du centre scientifique de Baure et des archivistes. Vidar avait suivi un cursus scolaire classique. La spécialisation en robotique s’imposait. 

Dès son plus jeune âge, il passait la majeure partie de son temps reclus avec ses « petits ». Il fabriquait, réparait tout type de matériel du moment qu’il contenait de l’électronique. Le résultat était étonnant. Les machines qu’il avait eues sous la main semblaient avoir une longueur d’avance. Et elles le lui rendaient bien, rares étant celles ayant connu un dysfonctionnement autre que lié soit à l’usure naturelle des composants, soit à une mauvaise utilisation humaine. Ce dernier point le rendait particulièrement furieux. Gare à ceux qui ne prenaient pas soin de ses « petits », comme il aimait à les nommer. Sur le vaisseau mère, ses équipes et tous ceux qui utilisaient de près ou de loin ses drones et autres machines en étaient avertis. Milo Vard prenait bien en compte ce paramètre à la suite de l’incident du camp de base Alpha. Homme ou machine, pour certains, la perte pouvait être du même niveau émotionnel.  

Vidar et son équipe finalisaient le premier drone. Il passait personnellement en revue chaque élément. Les modifications qu’il avait apportées consistaient à un renforcement du blindage électro-magnétique. Pour que ses « petits » sur Parelas-d ne répondent plus, c’était, selon lui, dû à un événement ayant vidé leur énergie. Cependant, aucun élément ne venait corroborer cette hypothèse. Le black-out était survenu soudainement, de nuit.  

 

Dans la salle de contrôle remplie de pupitres, Milo Vard mettait un point final à la composition de l’équipe qui serait débarquée in situ. En compagnie du décurion Nil Solgarde, désigné pour cette périlleuse mission, Ils passaient en revue les différents points de contrôle et tâches à effectuer : sécuriser le campement et assurer des relais de communication à différents endroits. Ils avaient élaboré un plan des zones à visiter en priorité. Ils devaient aussi assurer l’approvisionnement pour les longs mois à venir, à passer dans les plus mauvais scénarios seuls. Du matériel médical et de défense avait été ajouté à leur cargaison.  

« Nil, je pense que nous avons fait le tour des préparatifs à votre débarquement sur Parelas-d. Je vous laisse mettre au parfum votre décurie. Je valide au passage votre choix concernant les membres. Cependant pourquoi avoir choisi un archiviste ?, lui demanda Milo Vard, l’air un peu étonné. 

 Il est aussi expert en chimie, Milo. Mais je pense qu’il pourra apporter une certaine dimension à cette épreuve. À mon avis, nous retrouverons les colons. Dans quel état, je ne puis le dire. Mais nous les retrouverons et il sera primordial de conserver une mémoire précise de ces événements dans l’Humania, répondit le décurion. 

 Je respecte ce choix, Nil. En dehors de la première graine de colons, les archivistes sont de coutume le dernier personnel à quitter le vaisseau mère. Merci pour cet éclaircissement. 

—  Je vais retrouver mon équipe. À plus tard, Milo. » 

Le responsable de l’ensemencement acquiesça d’un rapide mouvement de la tête et replongea dans son PIM pour y relever les derniers éléments concernant l’envoi des drones.

L’image aurait pu rappeler les premières expéditions robotiques spatiales de l’humanité. Le drone roulait à une allure soutenue dans une zone désertique rougeâtre. Les lourds et peu hardis appareils d’exploration que l’humanité avait déposés sur Mars ou sur d’autres objets du système solaire étaient depuis longtemps dépassés. Pourtant, esthétiquement, ils se ressemblaient beaucoup.  

Les différents matériels à son bord scrutaient les alentours. L’ensemble des données était transmis en temps réel au vaisseau mère. La nuée réagissait par soubresauts à chaque nouvelle entrée. Rapidement, il rejoignit le camp de base Alpha. Ce dernier semblait totalement abandonné. Comme si les colons s’étaient évaporés. Des outils gisaient là où la personne les tenait avant de disparaître. Milo Vard resta, quelques secondes, interloqué par une clé de serrage restant comme suspendue à une paroi. 

Les entrées des tentes des camps de bases étaient grandes ouvertes. Le robot s’approcha de l’une d’entre elles et entra lentement. Il parcourut la première pièce et la balaya de ses différents senseurs. De minuscules drones étaient projetés pour atteindre les moindres recoins. Des affaires de toutes sortes jonchaient le sol, comme si une tempête s’était abattue dans l’habitation. Dans la pièce principale, de vingtcinq mètres carrés, les chaises étaient renversées, les meubles avaient été comme poussés sur les parois. Les faisceaux optiques du robot balayaient chaque espace de la pièce. Les micro-drones allaient et venaient, rapportant leurs prélèvements pour des analyses plus abouties.  

Une fois cette première inspection menée, il se dirigea vers les pièces annexes. La salle d’eau, les chambres, puis les locaux techniques. À chaque fois, le même spectacle se présentait aux capteurs. Aucun signe de présence humaine et un désordre indescriptible.  

De nouveau à l’extérieur, les appendices du robot se connectèrent aux composants électroniques de la tente. Le constat était simple. Ils n’étaient plus alimentés en énergie. Mais n’étaient pas endommagés pour autant. Le cas était le même pour chaque habitat du camp de base, et ce, confirmé par le deuxième drone au sol parcourant l’autre extrémité du camp. 

 

Milo Vard se détourna des pupitres, totalement perdu devant les images et données transmises par les sondes envoyées au sol. 

« C’est totalement fou, comment plus d’une centaine de personnes peuvent disparaître de cette manière ? Ils se sont volatilisés.  

 À part l’état à l’intérieur des tentes, il n’y a pas de trace de lutte. Surtout pour les colons qui se trouvaient à l’extérieur des habitations, nota Fatia, responsable de la sécurité au sein du vaisseau mère. 

  Pas de corps. C’est troublant, inquiétant. Pourtant, on peut considérer cela comme un point positif, répondit Milo Vard. 

  Un enlèvement ? , s’essaya Fatia. 

  Voyons Fatia, par qui ? Cette planète n’est pas peuplée.» balaya Milo Vard d’un geste de la main. 

Les missions de sécurité de la jeune femme avaient été d’un calme olympien pendant le voyage. Quelques rixes entre colons à gérer et des exercices d’évacuation et de sécurité à encadrer. Elle n’était aucunement préparée à enquêter sur la disparition soudaine d’une centurie de colons. 

 

Vidar, qui scrutait son PIM remontant les données des sondes, se joignit à la conversation. 

« Les nouvelles sont plutôt rassurantes. L’ensemble des systèmes électroniques n’ont pas été endommagés. Je peux via mes sondes remettre en service d’autres robots de maintenance et relancer quelques éléments. Cependant, le plus dommageable est que l’ensemble du camp de base devra être relancé manuellement et cela pourra prendre du temps.  

 Faites au mieux, Vidar. Vos petits nous ont été dune grande aide sans lever le mystère pour autant, répondit Milo. 

 Le plus inquiétant est de savoir si un événement similaire se produira de nouveau. Je prépare avec mes équipes de nouvelles modifications, si nous sommes de nouveau appelés à redéployer des sondes au sol, ajouta Vidar. 

 Je ne doute pas de votre ingéniosité et de la qualité de vos équipes. Mais je pense qu’une intervention humaine au sol sera incontournable. Tenez-moi au courant de vos avancées techniques. Elles seront de toute manière d’une aide précieuse », conclut Milo Vard. 

Fatia salua Vidar qui repartait vers les coursives.  

« Nil m’a indiqué que vous aviez fourni des armes légères et lourdes à l’équipe de reconnaissance. Vous redoutez quoi au juste ?, demanda Milo Vard en affichant le manifeste de la cargaison de la navette à partir de son PIM. 

 J’espère qu’ils n’en auront pas l’utilité. Mais, quelque chose me dérange dans les circonstances de leur disparition. Je pense que la planète ne nous a pas livré tous ses secrets, répondit Fatia.  

 Pourtant, cela fait plusieurs semaines que des sondes de reconnaissance étaient à pied d’œuvre. Aucun élément ne laisse à penser que des Paréliens nous préparaient une surprise. En soi, et à la vue des derniers relevés des sondes, j’accepte l’armement de cette expédition. Cependant, je souhaite que les armes soient mises sous clé. Seuls Nil, et nous deux, aurons la capacité de déverrouiller le cube d’armement. Je ne souhaite pas qu’une colonie s’entretue dès les premières années de l’ensemencement. Rappelez-vous le conflit d’Ition-g. Notre lignée était à deux doigts de s’éteindre. Et ce, pour des rivalités futiles au regard des enjeux de l’ensemencement.  Ces derniers mots de Milo Vard furent prononcés avec une solennité toute particulière. 

 Du fait de mon statut de responsable de la sécurité, je suis bien au fait des entrées de l’Humania concernant l’ensemble des conflits armés, répondit Fatia sur un ton assuré et quelque peu courroucé. 

 Ne prenez pas mal ma remarque, Fatia. Je ne souhaite pas planter sur Parelas-d la graine de la violence armée. Voilà tout, conclut-il. 

 J’espère qu’ils n’en auront pas l’utilité et qu’ils pourront les renvoyer sur le vaisseau mère une fois le mystère levé, » termina à son tour Fatia. 

 

Autour d’eux, la nuée continuait son activité frénétique. Chaque donnée faisait l’objet d’attentions toutes particulières. Chacun avait à l’esprit l’enjeu des découvertes. Il n’y avait pas de troisième solution : soit la colonie s’installait sur Parelas-d, soit la lignée s’éteignait. La tension était visible sur chaque visage. Les rapports allaient toujours dans le même sens au fil des minutes. Pas de corps, pas de survivants. Un camp fantôme vidé de son énergie.  

Des théories naissaient çà et là. Certaines fantaisistes, d’autres plus cartésiennes. Là où l’inconnu domine, l’esprit humain a tendance à le remplir de mythes et de monstres. Une hypothèse fusa, se diffusa comme une traînée de poudre et reçut le plus d’adhérents : une mystérieuse brume, n’apparaissant que pendant la phase nocturne de Parelas-d, aurait enveloppé les colons. Selon les créateurs de cette théorie, les colons auraient été dissous instantanément. Théorie qui ne dura pas plus d’une trentaine de minutes, après que quelqu’un eut fait remarquer, et ce à juste titre, que l’on ne trouvait aucune combinaison vide. Sourd à ces quelques fantaisies de l’esprit humain, Milo Vard tourna la tête en direction d’un pupitre d’où des données, issues d’un drone de maintenance désactivé, commençaient à apparaître.  

« Enfin quelques éléments pour détricoter ce sac de nœuds. Allons nous pencher dessus, Fatia ! », s’exclama Milo Vard. 

© Philippe Ruaudel

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